Idées
et sociétés en Livres
Une rubrique de
Fabrice Desplan G.R.A.C.C.
(Groupe de Recherche et d’Analyse des Croyances Collectives) Université de Lille III
Membre du G.A.R.E.S (Groupe d’Analyse des Réseaux, Echanges et Structures)
Dan Sperber La contagion des idées
Les
sciences sociales sont par essence un ensemble scientifique qui avance par la polémique.
Les ouvrages de Sperber, volontairement ou non, entrent dans la catégorie de ceux qui
suscitent des discussions effervescentes. Ainsi " Le savoir des
anthropologues ", et en moindre partie " La pensée
symbolique ", ont chacun, dans une claire continuité, ravivés certaines
craintes chez les anthropologues premièrement, puis chez les sociologues.
" La contagion des
idées ", étend la polémique chez les psychologues, et plus généralement
dans les sciences cognitives.
De quoi s’agit-il réellement ?
Depuis le savoir des anthropologues, Sperber milite pour " naturaliser les
sciences sociales ". C’est l’idée que les sciences sociales, pour
devenir de véritables sciences anthropologiques (au sens étymologique : sciences de
l’Homme), doivent faire tomber les frontières entres-elles. En fait, il s’agit
pour l’auteur d’affirmer que la complexité de la pensée symbolique, propre à
l’Homme, nécessite la mobilisation de tous les domaines des sciences de
l’Homme. De plus l’avancer des sciences cognitives, avec notamment des objets
communs à toutes les sciences sociales, conduit à saisir l’Homme dans ses
spécifiés, sociales, psychologique, et historiques.
Il est claire qu’une telle position ne
va pas sans semer le trouble à l’heure ou on est encore à la protection de
paroisses scientifiques !
Dans " La contagion des
idées " l’axe central reste le paradigme épidémiologique. A partir de
l’épidémiologie, Sperber va mettre en évidence différents points communs avec les
sciences sociales, dont l’un des but est de comprendre la diffusion des idées, tout
en ne niant les capacités d’innovation des individus.
Il est aussi nécessaire de noter
qu’une telle initiative, marginale dans le champ scientifique est encore marquée par
des imperfections. Cela est dû certainement à la perspective évolutionniste et
cognitiviste forte, dans laquelle se place l’auteur. L’exemple d’une
analyse de la diffusion des idées en est un exemple. Mais il convient, dans le respect de
l’immensité du savoir de Sperber, de ne pas l’enfermer à cet exemple, mais à
son noble désir de porter de nouveaux éléments de réflexion dans les sciences
sociales, pour mieux comprendre le social, monde rempli de symbolisme. En ce sens malgré
les inévitables divergences qu’une telle posture idéologique peut susciter, elle
entraîne aussi inévitablement, le respect du à la grandeur de l’ambition que porte
l’auteur, et au professionnalisme dont il est le siège. Odiles
Jacob, 1996. |
Danièle
Hervieu-Léger La religion en miettes ou la question des sectes
La question des sectes a
été tragiquement portée dans l’actualité avec de tristes faits tel que les morts
inexpliquées, les relations particulière avec le Trésor public.
Aujourd’hui une importante
littérature scientifique. Malheureusement celle-ci est noyée par les scories que sont
les fausses et spontanés ouvrages, d’auteurs associatifs, journalistes ou
" témoins ", dont le but est de participer au débat. Mais la
médiatisation de ces derniers ouvrages, ne fait que rajouter de la fumée, ce qui conduit
à empêcher une sereine analyse.
L’ouvrage de Danièle Hervieu Léger
arrive ainsi au bon moment. D’un langage clair, dépourvu de complexité sociologique
audible que de spécialistes au profit d’une approche sérieuse, il est destiné à
tous les publics, et gardant son assise scientifique.
Le titre de l’ouvrage, " La
religion en miettes, ou la question des sectes ", est un bon résumé du propos.
Durant les 220 pages de l’ouvrage, l’auteur va nous sensibiliser sur le fait que
le phénomène sectaire n’est en fait pas si nouveau que cela. Il est aussi un contre
coût de la modernité, et du fait que dans une logique post moderniste, l’individu
croyant est devenu le sujet central de la croyance. Ce dernier adapte, transforme la
croyance en un ensemble d’acceptation différant souvent de la croyance officielle.
Cette posture de bricolage, émiette le champ religieux traditionnel qui était conçu
autour de quelques grands groupes religieux.
Le phénomène maladroitement appelé
" sectaire ", n’est en fait, qu’un contre coup de la
modernité croyante.
Il est donc nécessaire de comprendre ce
phénomène loin de la passion médiatique, même si ce dernier est le lieu de drames
individuels. Indirectement, le fait d’éclaircire le phénomène sectaire, fait que
l’auteur y apporte une sérénité nécessaire à la compréhension.
Rappelons à ce niveau, que l’analyse
des sciences sociales n’a pas pour but de catégoriser un groupe en
" secte ", " église " ou autres, mais à
comprendre la complexité de la relation à la croyance dans un contexte social et
historique. C’est ce que fait l’auteur.
En aval ceux qui ont une posture militante,
devront y trouver des éléments de justesse pour une pleine honnêteté intellectuelle,
débarrassée de passions. Calmann-Lévy, 2001. |
Edgar Morin
La rumeur d’Orléans
" La rumeur
d’Orléans " est certainement l’histoire la plus folle que tous
connaissons. En effet qui n’a pas entendu parler de filles qui disparaissent de
manière inexpliquée dans des magasins de Juifs ! Voilà une histoire " vraie ", analysée par Edgar
Morin. De l’origine de ce qui est en fait une rumeur sans fondement à la forte
médiatisation qu’elle connue, Edgar Morin arrive dans ce court ouvrage à mettre en
évidence les mécanismes de la rumeur. Il soulève également le fait que souvent cela
concerne l’étranger, dont la réussite sociale pose problème à la compréhension
autochtone. En ce sens le Juif devient une cible privilégiée, d’autant plus que la
rumeur vient justifier des clichés sociaux bien que naïfs.
A l’heure de la télé réalité, de la bourse monde
ou on achète des rumeurs, de la presse people à grand tirage, un ouvrage de retour sur
l’actualité. A découvrir ou redécouvrir. Seuil, 1969.
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Pascal Boyer
Et l’homme créa les dieux Comment expliquer la religion
Expliquer la religion reste pour tous les ethnologues une aspiration
secrète. En effet c’est certainement l’un des phénomènes culturels dès plus
complexe, puisque échappant aux jalons habituels de la pensée occidentale.
Depuis, " La religion comme
phénomène naturel ", Pascal Boyer a fait de la religion l’objet essentiel
de sa recherche. Cet anthropologue que l’on peut aisément classer parmi les
anthropologues évolutionnistes cognitivistes a plus d’une corde à son arc. En effet
sur la base de données allant des fans du Cameroun, allant au Bocage Normand en passant
par les religions du livre (Christianisme, Islam, Judaïsme), il érige en évidence
universelle l’idée que toutes les croyances religieuses ont des éléments cognitifs
communs. A partir delà, réaliser une explication universelle de la religion se fait en
plaçant au centre de l’analyse le croyant à savoir l’homme social dans toutes
les configurations sociales.
A première vue cela semble être
inaccessible, mais en se lançant dans cet ouvrage, où l’on voyage dans le
fonctionnement du cerveau avec simplicité, on se dit que Pascal Boyer est sur la voie
d’une explication universelle du religieux qui mérite que l’on s’y
attarde.
Un conseil avant de se plonger dans cet
ouvrage : donnez à l’auteur le bénéfice du doute, et suivez-le dans son
raisonnement, tout en croyant que touts les lecteurs sont concernés par ce livre y
compris celui qui pense ne pas être un religieux. Robert Laffont 2001 |
Francis
Messner
Les sectes et le droit en France
Qu’est-ce qu’une
secte ? Voilà enfin un ouvrage collectif qui enfin répond concrètement à la
question. En fait, il ne répond pas directement à cette question, mais plutôt à celle
de savoir pourquoi il est si difficile d’établir une définition juridique des
sectes ?
Sociologues et juriste donnent des
éléments de réflexion pertinents. Non seulement l’ouvrage répond à la question
de ce qu’est une secte, il permet surtout de comprendre comment un mouvement est si
facilement étiqueté de secte dans nos sociétés contemporaines. D’ailleurs à ce
sujet il ne faut pas oublier que les groupes religieux établis et acceptés dans nos
sociétés ne sont que des sectes qui ont atteint leur objectif !
Sur ce, un seul conseil, ruez-vous sur un
livre qui au risque de ne pas satisfaire nombres d’entre nous, répond avec
clairvoyance à une question de société cruciale. PUF, 1999 |
Thomas C. Spear
Jean-François Briant, Mireille Cretillon, Catherine Stoessel Sophie
Anquetil
Raymond
Boudon Raison. Bonnes Raisons
Comment expliquer systématiquement que des
individus paraissent agir rationnellement dans certains domaines, et avec une
irrationalité dans d’autres ? Tous, nous nous sommes posés cette question.
Depuis une trentaine d’année Raymond Boudon essaie de porter une analyse simple et
profonde à la problématique de la rationalité. Car il s’agit bien ici de comprendre ce qui est rationnel et ce qui ne
l’est pas. Et comme nous le montre l’auteur, dans l’ensemble de son
œuvre, beaucoup de nos actes, sont en faite des actions rationnelle. C’est
" simplement " l’idée que nous avons de la rationalité, de la
raison qui est fausse. Il est aussi raisonnable de croire en la gravité, que
d’admettre pour les croyants qu’il y ait un être supérieur unique appelé
Dieu. Voilà qui peut surprendre ! Dans différentes situations nous mettons en
œuvre divers types de rationalités qui font apparaître souvent des actes
d’apparence irrationnelle dans certains contextes (nos sociétés occidentales…)
mais qui le sont réellement quand on regarde de près la question.
" Raison, Bonnes Raisons ", est une
tentative réussite d’un effort de synthèse d’années de recherches. Et, jouant
parfaitement le jeux de l’autocritique, Raymond Boudon insiste également sur les
excès que peuvent engendrer une tel conceptions de nos comportements sociaux.
Aux lecteurs novices en littérature sociologique, ne vous
laissez pas effrayer par les expressions comme " théorie du choix
rationnel ", ou encore " modèle rationnel général "…
Se sont des expressions résumant imparfaitement (comme le note l’auteur)
l’idée fondamentale selon laquelle tous réalisons des choix en fonction des
informations que nous disposons dans une situation donnée. Evidemment nous simplifions à
l’extrême la pensée de l’auteur, mais durant l’ouvrage, sans difficulté,
on peut suivre sa démonstration. P.U.F, 2003 |
Emile Durkheim
Le Suicide
" Le
suicide " est certainement l’ouvrage le plus classique de la sociologie.
Avant tout c’est l’une des premières enquêtes publiées à grande échelle, et
dont le but est d’illustrer les positions d’Emile Durkheim.
Pour ce dernier, nombreuses de nos actions,
même les plus intimes sont sociales. En effet, lorsque l’on compare les actes
individuels entre eux, on se rend vite compte que les individus vivent séparément les
mêmes choses et n’ont que l’impression que leur expérience est unique.
Pour illustrer cette approche le suicide
est pour Durkheim un exemple probant. Sur la base des données statistiques de la police
il mettra en évidence des régularités dans les suicides, et cela en fonctions de
différents critères sociaux. Il avance ainsi la preuve que le suicide a quelque chose de
social et n’est pas seulement un acte individuel et anonyme.
Il reste à noté que le suicide est pour
Durkheim une belle illustration de ce qu’il appelle un fait social,
c’est-à-dire des actions qui existent hors des individus, qui ont une régularités,
que l’on peut observer et analyser. Il fera de la sociologie une science dont le but
sera de comprendre les faits sociaux. Son ouvrage, " Les règles de la méthode
sociologique ", insistera plus longuement sur les faits sociaux.
Notons la prouesse de Durkheim qui sans
calculatrice au début du siècle, arrive à faire des opérations statistiques d’une
grande justesse ! P.U.F, 1930, 7ème édition, 1993 |
Philippe
Ariès L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime
Sous ce titre qui peut
paraître effrayant, l’historien Philippe Ariès nous conduit vers la compréhension
de " l’enfant roi ".
Dans la société française, l’enfant
est le sujet de nombreuses attentions et privilèges. Pour beaucoup d’entre nous cela
est évident. Pourtant, Philippe Ariès nous montre que cela est loin d’aller de soi.
D’ailleurs c’est une particularité nouvelle de notre société. Dans
l’histoire l’enfant n’a pas toujours été l’objet de toutes les
précautions que nous lui prodiguons aujourd’hui. Cette vision très protectrice que
nous connaissons maintenant est le fruit d’une progression qui connue de nombreuses
turpitudes.
Voilà un ouvrage qui, à partir de
l’exemple de l’évolution du traitement de l’enfant dans nos sociétés,
nous montre bien comment les repères moraux sont des constructions historiques et
sociales.
Entre les mains des personnes
professionnellement en contact avec les enfants (juges, éducateurs, enseignants,
psychologues…) et les parents, cet ouvrage est une source de lumière pour notre
regard sur l’enfant. Seuil 1973 |
Vous avez dit Laïcité ?
Christian
Baudelot et Roger Establet
Durkheim et le Suicide
On ne peut évidemment pas parler de
l’ouvrage de Durkheim Le suicide sans faire allusion à la présente
œuvre. En plus d’un effort de synthèse, les auteurs vont mettre en exergue les
points d’ombre et les réussites intellectuelles de Durkheim. Mais bien plus qu’un commentaire de Durkheim, un véritable effort
d’actualisation des données de Durkheim est réalisé bien que ce ne soit pas
l’objet central de l’ouvrage.
Une véritable évaluation de l’enquête de Durkheim
sur le suicide, on ne saurait jamais assez la conseiller à ceux qui lisent ou relisent
" Le suicide ". PUF, 1984 |
Raymond Boudon
L’idéologie ou l’origine des idées reçues
A ceux qui pensent que
seul les naïfs, ou les simples d’esprit peuvent croire de manière crédule en des
faits irrationnels, voilà un livre qui les étonnera.
Raymond Boudon réussit à placer esprits
d’apparence naïfs et raisonnements scientifiques sur le même plan. L’ouvrage
insistera sur le fait que les idées que nous avons se construisent souvent comme des
raisonnements scientifiques. Cela lui permet d’affirmer que la pensée scientifique
n’est pas plus rationnelle que la pensée du sens commun. Elle bénéficie simplement
d’un exercice de systématisation et de contrôle, que l’on peut aussi retrouver
sur certains points dans la pensée naïve. Fayard, 1986 |
L’art de se persuader des idées douteuses, fragiles ou fausses
A la suite de
" L’idéologie ", Raymond Boudon poursuit sa démonstration sur
le fait que les idées du sens commun ne sont pas si différentes des constructions
scientifiques, en insistant cette fois sur le fait que les croyances fausses que nous
avons peuvent-être le fait de raisonnements scientifiquement construits. Ce volume est
riche en exemples et ne manquera pas de convaincre. Fayard, 1990 |
Mark
Granovetter
Le marché Autrement
Réalisme. Voilà le mot qui de loin
résume la démarche de M. Granovetter dans cet ouvrage. Le but de l’auteur est de
mettre en évidence les réalités de l’économie. A la base de la démarche de
Granovetter on retrouve une simple constatation : pourquoi, concernent le marché du
travail, l’essentiel des emplois est satisfait hors de ce même marché ? Tous
les chercheurs d’emploi savent qu’il vaut mieux être au bon endroit et au bon
moment pour obtenir un emploi. Prospecter uniquement au sein des organismes présents sur
le marché du travail, et dont le but est de communiquer des offres d’emploi (ANPE,
Société d’Intérim…) ne suffit pas. Voilà qui conduira Granovetter à démontrer que le marché, et
particulièrement le marché du travail, se structure également loin des lois connues de
l’économie capitalistique. Il faut dans certaines circonstances avoir des liens
mêmes éloignés avec des individus (il dira liens faibles), qui ont la possibilité de
recommander une candidature. Cette simple constatation échappe aux lois édictées de
l’économie de marché. Mais elle replace au centre de l’analyse de
l’économie l’exigence de toujours avoir une approche relationnelle. En
d’autres termes, même pour ce qui est de l’économie de marché, l’auteur
remet au centre de l’analyse la problématique des rapports humains et de la gestion
qu’ils concentrent dans la perspective d’atteindre un but particulier. Ce
rapport humain est loin d’être présent dans la formalisation de l’économie de
marché. Cependant, c’est lui qui souvent, voir toujours, structure l’économie.
Pour les économistes, même s’ils s’en
disculpent, les travaux de Granovetter leurs imposent une vision plus sociologique de
l’économie de marché. A ce sujet, l’exemple le plus probant reste la bourse,
lieu où l’on achète une rumeur et où l’on vend des perspectives. Et dans cet
échange boursier, les rapports humains sont essentiels dans la compréhension de tous les
mécanismes. Desclée de Brouwer, 2000 |
Pour une
redécouverte de Henri DESROCHE (1914-1994)
Difficile, impossible de prétendre parler
brièvement de la discrète œuvre de Desroche d’autant plus qu’elle couvre
la sociologie, la philosophie, les sciences de la connaissance, et trouve sont expression
sur des terrains variés comme le religieux ou encore le monde ouvrier. Alors une solution : la frustration. La courte présentation ne fera donc
mention uniquement de l’œuvre touchant à " la sociologie de
l’espérance " de Desroche. Mais redécouvrir Desroche dans son
entièreté est une nécessité absolue pour celui qui veut comprendre le social dans tous
les domaines. D’ailleurs la densité des thèmes abordés par Desroche traduit cette
noble ambition.
Deux ouvrages ont retenu notre attention et semblent
particulièrement prolifiques pour comprendre la sociologie religieuse de Desroche.
1. Dieux d’hommes. Dictionnaire des
messianismes et millénarismes de l’ère chrétienne. Contribution à une
sociologie de l’attente, Pais, Mouton, 1969.
2. Sociologie de l’espérance, Calmann-Lévy,
1973 |
Henri Desroche
Chérie Carter-Scott
La Bibliothèque
Delirium >>> Romans Essais Policiers Nouvelles Biographies
Visites depuis le 10 oct 2003
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