Idées et sociétés en Livres

Une rubrique de Fabrice Desplan  G.R.A.C.C. (Groupe de Recherche et d’Analyse des Croyances Collectives) Université de Lille III Membre du G.A.R.E.S (Groupe d’Analyse des Réseaux, Echanges et Structures)

 

Dan Sperber  livre_sperber.jpg (5046 octets) La contagion des idées                          

Les sciences sociales sont par essence un ensemble scientifique qui avance par la polémique. Les ouvrages de Sperber, volontairement ou non, entrent dans la catégorie de ceux qui suscitent des discussions effervescentes. Ainsi " Le savoir des anthropologues ", et en moindre partie " La pensée symbolique ", ont chacun, dans une claire continuité, ravivés certaines craintes chez les anthropologues premièrement, puis chez les sociologues.

" La contagion des idées ", étend la polémique chez les psychologues, et plus généralement dans les sciences cognitives.

De quoi s’agit-il réellement ? Depuis le savoir des anthropologues, Sperber milite pour " naturaliser les sciences sociales ". C’est l’idée que les sciences sociales, pour devenir de véritables sciences anthropologiques (au sens étymologique : sciences de l’Homme), doivent faire tomber les frontières entres-elles. En fait, il s’agit pour l’auteur d’affirmer que la complexité de la pensée symbolique, propre à l’Homme, nécessite la mobilisation de tous les domaines des sciences de l’Homme. De plus l’avancer des sciences cognitives, avec notamment des objets communs à toutes les sciences sociales, conduit à saisir l’Homme dans ses spécifiés, sociales, psychologique, et historiques.

Il est claire qu’une telle position ne va pas sans semer le trouble à l’heure ou on est encore à la protection de paroisses scientifiques !

Dans " La contagion des idées " l’axe central reste le paradigme épidémiologique. A partir de l’épidémiologie, Sperber va mettre en évidence différents points communs avec les sciences sociales, dont l’un des but est de comprendre la diffusion des idées, tout en ne niant les capacités d’innovation des individus.

Il est aussi nécessaire de noter qu’une telle initiative, marginale dans le champ scientifique est encore marquée par des imperfections. Cela est dû certainement à la perspective évolutionniste et cognitiviste forte, dans laquelle se place l’auteur. L’exemple d’une analyse de la diffusion des idées en est un exemple. Mais il convient, dans le respect de l’immensité du savoir de Sperber, de ne pas l’enfermer à cet exemple, mais à son noble désir de porter de nouveaux éléments de réflexion dans les sciences sociales, pour mieux comprendre le social, monde rempli de symbolisme. En ce sens malgré les inévitables divergences qu’une telle posture idéologique peut susciter, elle entraîne aussi inévitablement, le respect du à la grandeur de l’ambition que porte l’auteur, et au professionnalisme dont il est le siège.  Odiles Jacob, 1996.

 

 

Danièle Hervieu-Léger  livre_hervieu.jpg (3266 octets) La religion en miettes ou la question des sectes

La question des sectes a été tragiquement portée dans l’actualité avec de tristes faits tel que les morts inexpliquées, les relations particulière avec le Trésor public.

Aujourd’hui une importante littérature scientifique. Malheureusement celle-ci est noyée par les scories que sont les fausses et spontanés ouvrages, d’auteurs associatifs, journalistes ou " témoins ", dont le but est de participer au débat. Mais la médiatisation de ces derniers ouvrages, ne fait que rajouter de la fumée, ce qui conduit à empêcher une sereine analyse.

L’ouvrage de Danièle Hervieu Léger arrive ainsi au bon moment. D’un langage clair, dépourvu de complexité sociologique audible que de spécialistes au profit d’une approche sérieuse, il est destiné à tous les publics, et gardant son assise scientifique.

Le titre de l’ouvrage, " La religion en miettes, ou la question des sectes ", est un bon résumé du propos. Durant les 220 pages de l’ouvrage, l’auteur va nous sensibiliser sur le fait que le phénomène sectaire n’est en fait pas si nouveau que cela. Il est aussi un contre coût de la modernité, et du fait que dans une logique post moderniste, l’individu croyant est devenu le sujet central de la croyance. Ce dernier adapte, transforme la croyance en un ensemble d’acceptation différant souvent de la croyance officielle. Cette posture de bricolage, émiette le champ religieux traditionnel qui était conçu autour de quelques grands groupes religieux.

Le phénomène maladroitement appelé " sectaire ", n’est en fait, qu’un contre coup de la modernité croyante.

Il est donc nécessaire de comprendre ce phénomène loin de la passion médiatique, même si ce dernier est le lieu de drames individuels. Indirectement, le fait d’éclaircire le phénomène sectaire, fait que l’auteur y apporte une sérénité nécessaire à la compréhension.

Rappelons à ce niveau, que l’analyse des sciences sociales n’a pas pour but de catégoriser un groupe en " secte ", " église " ou autres, mais à comprendre la complexité de la relation à la croyance dans un contexte social et historique. C’est ce que fait l’auteur.

En aval ceux qui ont une posture militante, devront y trouver des éléments de justesse pour une pleine honnêteté intellectuelle, débarrassée de passions. Calmann-Lévy, 2001.

 

Edgar Morin livre_morin.jpg (4623 octets) La rumeur d’Orléans
" La rumeur d’Orléans " est certainement l’histoire la plus folle que tous connaissons. En effet qui n’a pas entendu parler de filles qui disparaissent de manière inexpliquée dans des magasins de Juifs !

Voilà une histoire " vraie ", analysée par Edgar Morin. De l’origine de ce qui est en fait une rumeur sans fondement à la forte médiatisation qu’elle connue, Edgar Morin arrive dans ce court ouvrage à mettre en évidence les mécanismes de la rumeur. Il soulève également le fait que souvent cela concerne l’étranger, dont la réussite sociale pose problème à la compréhension autochtone. En ce sens le Juif devient une cible privilégiée, d’autant plus que la rumeur vient justifier des clichés sociaux bien que naïfs.

A l’heure de la télé réalité, de la bourse monde ou on achète des rumeurs, de la presse people à grand tirage, un ouvrage de retour sur l’actualité.  A découvrir ou redécouvrir. Seuil, 1969.

 

 
 

Pascal Boyer   livre_boyer1.jpg (3308 octets) Et l’homme créa les dieux  Comment expliquer la religion

Expliquer la religion reste pour tous les ethnologues une aspiration secrète. En effet c’est certainement l’un des phénomènes culturels dès plus complexe, puisque échappant aux jalons habituels de la pensée occidentale.

Depuis, " La religion comme phénomène naturel ", Pascal Boyer a fait de la religion l’objet essentiel de sa recherche. Cet anthropologue que l’on peut aisément classer parmi les anthropologues évolutionnistes cognitivistes a plus d’une corde à son arc. En effet sur la base de données allant des fans du Cameroun, allant au Bocage Normand en passant par les religions du livre (Christianisme, Islam, Judaïsme), il érige en évidence universelle l’idée que toutes les croyances religieuses ont des éléments cognitifs communs. A partir delà, réaliser une explication universelle de la religion se fait en plaçant au centre de l’analyse le croyant à savoir l’homme social dans toutes les configurations sociales.

A première vue cela semble être inaccessible, mais en se lançant dans cet ouvrage, où l’on voyage dans le fonctionnement du cerveau avec simplicité, on se dit que Pascal Boyer est sur la voie d’une explication universelle du religieux qui mérite que l’on s’y attarde.

Un conseil avant de se plonger dans cet ouvrage : donnez à l’auteur le bénéfice du doute, et suivez-le dans son raisonnement, tout en croyant que touts les lecteurs sont concernés par ce livre y compris celui qui pense ne pas être un religieux. Robert Laffont 2001

 

Francis Messner livre_messner.jpg (4138 octets)   Les sectes et le droit en France

Qu’est-ce qu’une secte ? Voilà enfin un ouvrage collectif qui enfin répond concrètement à la question. En fait, il ne répond pas directement à cette question, mais plutôt à celle de savoir pourquoi il est si difficile d’établir une définition juridique des sectes ?

Sociologues et juriste donnent des éléments de réflexion pertinents. Non seulement l’ouvrage répond à la question de ce qu’est une secte, il permet surtout de comprendre comment un mouvement est si facilement étiqueté de secte dans nos sociétés contemporaines. D’ailleurs à ce sujet il ne faut pas oublier que les groupes religieux établis et acceptés dans nos sociétés ne sont que des sectes qui ont atteint leur objectif !

Sur ce, un seul conseil, ruez-vous sur un livre qui au risque de ne pas satisfaire nombres d’entre nous, répond avec clairvoyance à une question de société cruciale. PUF, 1999

 

livre_spear.jpg (19923 octets)        livre_briant.jpg (15848 octets)        livre_anquetil.jpg (16157 octets)

 Thomas C. Spear   Jean-François Briant, Mireille Cretillon, Catherine Stoessel   Sophie Anquetil 

 

Raymond Boudon livre_boudon.jpg (3302 octets) Raison. Bonnes Raisons
Comment expliquer systématiquement que des individus paraissent agir rationnellement dans certains domaines, et avec une irrationalité dans d’autres ? Tous, nous nous sommes posés cette question. Depuis une trentaine d’année Raymond Boudon essaie de porter une analyse simple et profonde à la problématique de la rationalité.

Car il s’agit bien ici de comprendre ce qui est rationnel et ce qui ne l’est pas. Et comme nous le montre l’auteur, dans l’ensemble de son œuvre, beaucoup de nos actes, sont en faite des actions rationnelle. C’est " simplement " l’idée que nous avons de la rationalité, de la raison qui est fausse. Il est aussi raisonnable de croire en la gravité, que d’admettre pour les croyants qu’il y ait un être supérieur unique appelé Dieu. Voilà qui peut surprendre ! Dans différentes situations nous mettons en œuvre divers types de rationalités qui font apparaître souvent des actes d’apparence irrationnelle dans certains contextes (nos sociétés occidentales…) mais qui le sont réellement quand on regarde de près la question.

" Raison, Bonnes Raisons ", est une tentative réussite d’un effort de synthèse d’années de recherches. Et, jouant parfaitement le jeux de l’autocritique, Raymond Boudon insiste également sur les excès que peuvent engendrer une tel conceptions de nos comportements sociaux.

Aux lecteurs novices en littérature sociologique, ne vous laissez pas effrayer par les expressions comme " théorie du choix rationnel ", ou encore " modèle rationnel général "… Se sont des expressions résumant imparfaitement (comme le note l’auteur) l’idée fondamentale selon laquelle tous réalisons des choix en fonction des informations que nous disposons dans une situation donnée. Evidemment nous simplifions à l’extrême la pensée de l’auteur, mais durant l’ouvrage, sans difficulté, on peut suivre sa démonstration. P.U.F, 2003

 

 

Emile Durkheim   livre_durkheim.jpg (3135 octets)  Le Suicide

" Le suicide " est certainement l’ouvrage le plus classique de la sociologie. Avant tout c’est l’une des premières enquêtes publiées à grande échelle, et dont le but est d’illustrer les positions d’Emile Durkheim.

Pour ce dernier, nombreuses de nos actions, même les plus intimes sont sociales. En effet, lorsque l’on compare les actes individuels entre eux, on se rend vite compte que les individus vivent séparément les mêmes choses et n’ont que l’impression que leur expérience est unique.

Pour illustrer cette approche le suicide est pour Durkheim un exemple probant. Sur la base des données statistiques de la police il mettra en évidence des régularités dans les suicides, et cela en fonctions de différents critères sociaux. Il avance ainsi la preuve que le suicide a quelque chose de social et n’est pas seulement un acte individuel et anonyme.

Il reste à noté que le suicide est pour Durkheim une belle illustration de ce qu’il appelle un fait social, c’est-à-dire des actions qui existent hors des individus, qui ont une régularités, que l’on peut observer et analyser. Il fera de la sociologie une science dont le but sera de comprendre les faits sociaux. Son ouvrage, " Les règles de la méthode sociologique ", insistera plus longuement sur les faits sociaux.

Notons la prouesse de Durkheim qui sans calculatrice au début du siècle, arrive à faire des opérations statistiques d’une grande justesse ! P.U.F, 1930, 7ème édition, 1993 

 

Philippe Ariès livre_aries.jpg (5369 octets) L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime

Sous ce titre qui peut paraître effrayant, l’historien Philippe Ariès nous conduit vers la compréhension de " l’enfant roi ".

Dans la société française, l’enfant est le sujet de nombreuses attentions et privilèges. Pour beaucoup d’entre nous cela est évident. Pourtant, Philippe Ariès nous montre que cela est loin d’aller de soi. D’ailleurs c’est une particularité nouvelle de notre société. Dans l’histoire l’enfant n’a pas toujours été l’objet de toutes les précautions que nous lui prodiguons aujourd’hui. Cette vision très protectrice que nous connaissons maintenant est le fruit d’une progression qui connue de nombreuses turpitudes.

Voilà un ouvrage qui, à partir de l’exemple de l’évolution du traitement de l’enfant dans nos sociétés, nous montre bien comment les repères moraux sont des constructions historiques et sociales.

Entre les mains des personnes professionnellement en contact avec les enfants (juges, éducateurs, enseignants, psychologues…) et les parents, cet ouvrage est une source de lumière pour notre regard sur l’enfant. Seuil 1973

 

Vous avez dit Laïcité ?

 

Christian Baudelot et Roger Establet livre_baudelot.jpg (2807 octets)   Durkheim et le Suicide
On ne peut évidemment pas parler de l’ouvrage de Durkheim Le suicide sans faire allusion à la présente œuvre. En plus d’un effort de synthèse, les auteurs vont mettre en exergue les points d’ombre et les réussites intellectuelles de Durkheim.

Mais bien plus qu’un commentaire de Durkheim, un véritable effort d’actualisation des données de Durkheim est réalisé bien que ce ne soit pas l’objet central de l’ouvrage.

Une véritable évaluation de l’enquête de Durkheim sur le suicide, on ne saurait jamais assez la conseiller à ceux qui lisent ou relisent " Le suicide ". PUF, 1984

 

Raymond Boudon livre_boudon1.jpg (5603 octets) L’idéologie ou l’origine des idées reçues

A ceux qui pensent que seul les naïfs, ou les simples d’esprit peuvent croire de manière crédule en des faits irrationnels, voilà un livre qui les étonnera.

Raymond Boudon réussit à placer esprits d’apparence naïfs et raisonnements scientifiques sur le même plan. L’ouvrage insistera sur le fait que les idées que nous avons se construisent souvent comme des raisonnements scientifiques. Cela lui permet d’affirmer que la pensée scientifique n’est pas plus rationnelle que la pensée du sens commun. Elle bénéficie simplement d’un exercice de systématisation et de contrôle, que l’on peut aussi retrouver sur certains points dans la pensée naïve.  Fayard, 1986

                           L’art de se persuader des idées douteuses, fragiles ou fausses

A la suite de " L’idéologie ", Raymond Boudon poursuit sa démonstration sur le fait que les idées du sens commun ne sont pas si différentes des constructions scientifiques, en insistant cette fois sur le fait que les croyances fausses que nous avons peuvent-être le fait de raisonnements scientifiquement construits. Ce volume est riche en exemples et ne manquera pas de convaincre. Fayard, 1990

 

 

Mark Granovetter livre_granovetter.jpg (5378 octets) Le marché Autrement
 Réalisme. Voilà le mot qui de loin résume la démarche de M. Granovetter dans cet ouvrage. Le but de l’auteur est de mettre en évidence les réalités de l’économie. A la base de la démarche de Granovetter on retrouve une simple constatation : pourquoi, concernent le marché du travail, l’essentiel des emplois est satisfait hors de ce même marché ? Tous les chercheurs d’emploi savent qu’il vaut mieux être au bon endroit et au bon moment pour obtenir un emploi. Prospecter uniquement au sein des organismes présents sur le marché du travail, et dont le but est de communiquer des offres d’emploi (ANPE, Société d’Intérim…) ne suffit pas.

Voilà qui conduira Granovetter à démontrer que le marché, et particulièrement le marché du travail, se structure également loin des lois connues de l’économie capitalistique. Il faut dans certaines circonstances avoir des liens mêmes éloignés avec des individus (il dira liens faibles), qui ont la possibilité de recommander une candidature. Cette simple constatation échappe aux lois édictées de l’économie de marché. Mais elle replace au centre de l’analyse de l’économie l’exigence de toujours avoir une approche relationnelle. En d’autres termes, même pour ce qui est de l’économie de marché, l’auteur remet au centre de l’analyse la problématique des rapports humains et de la gestion qu’ils concentrent dans la perspective d’atteindre un but particulier. Ce rapport humain est loin d’être présent dans la formalisation de l’économie de marché. Cependant, c’est lui qui souvent, voir toujours, structure l’économie.

Pour les économistes, même s’ils s’en disculpent, les travaux de Granovetter leurs imposent une vision plus sociologique de l’économie de marché. A ce sujet, l’exemple le plus probant reste la bourse, lieu où l’on achète une rumeur et où l’on vend des perspectives. Et dans cet échange boursier, les rapports humains sont essentiels dans la compréhension de tous les mécanismes. Desclée de Brouwer, 2000

 

 Pour une redécouverte de Henri DESROCHE (1914-1994)
Difficile, impossible de prétendre parler brièvement de la discrète œuvre de Desroche d’autant plus qu’elle couvre la sociologie, la philosophie, les sciences de la connaissance, et trouve sont expression sur des terrains variés comme le religieux ou encore le monde ouvrier.

Alors une solution : la frustration. La courte présentation ne fera donc mention uniquement de l’œuvre touchant à " la sociologie de l’espérance " de Desroche.  Mais redécouvrir Desroche dans son entièreté est une nécessité absolue pour celui qui veut comprendre le social dans tous les domaines. D’ailleurs la densité des thèmes abordés par Desroche traduit cette noble ambition.

Deux ouvrages ont retenu notre attention et semblent particulièrement prolifiques pour comprendre la sociologie religieuse de Desroche.

1. Dieux d’hommes. Dictionnaire des messianismes et millénarismes de l’ère chrétienne. Contribution à une

sociologie de l’attente, Pais, Mouton, 1969.

2. Sociologie de l’espérance, Calmann-Lévy, 1973

 

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Henri Desroche                 Chérie Carter-Scott 

 


 

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