Interview

Jean-Claude Guillebaud

A l'avenir, à l'espérance

Majeurs

Par soucis d’honnêteté, j’ai voulu faire précéder mon livre par une sorte d’introduction que j’ai appelée messages personnels. Cela consiste à dire que dans tout le livre il y a des parties pris, des présupposés subjectifs. Les miens sont au nombre de trois.

1 -Très honnêtement, je ne crois pas que l’on puisse vivre sans projet, je pense pas qu’une société puisse vivre sans se projeter vers l’avenir.

2 - Je suis de plus en plus convaincu que nous sommes en train vivre une révolution, un changement d’air d’importance bien plus grande que ce que nous croyons. Nous sommes en fait en train de vivre une de ces grandes ruptures épistémologiques qui est sans doute comparable à la renaissance ou au siècle des lumières, peut-être même des ruptures encore plus radicales qu’étaient celles d’avant.

3 - Face à cette immense rupture dans ce monde nouveau dans lequel nous sommes déjà entrés sans le savoir, je ne crois pas qu’il soit raisonnable de chercher dans le passé des recettes aux questions qui nous assaillent. Autrement dit, même si je pense que la nostalgie est un sentiment respectable, je crois que l’idée d’un retour en arrière soit très légitime. Je suis délibérément optimiste malgré la crainte car je pense que les solutions à nos problèmes sont devant nous.

Renoncement

En écrivant mon livre je ne me doutais pas qu’il paraîtrait en même temps que trois ou quatre livres écrits par des philosophes et anthropologues qui se posent les mêmes questions, celles de nos rapports au temps. Il y a le livre de Pierre Bouretz Témoins du futur : Philosophie et messianisme, celui de François Hartog qui est un spécialiste du monde grec, Des régimes d'historicité : Présentisme et expériences du temps son livre s’intéresse à la question de la temporalité et au triomphe de ce qu’il appelle le présentisme, c’est à dire l’hégémonie du présent. Il y a aussi le livre Pourquoi vivons nous de l’anthropologue Marc Augé, spécialiste de l’Afrique il se pose au fond la même question que moi : une société peut-elle vivre totalement enfermée dans le présent en ayant renoncé à tout projet de construire l’avenir ? Je crois que comme moi Marc Augé réponds non. En fait, tout se passe depuis une dizaine d’années comme si nous avions congédié l’avenir.

Mal

Le 11 septembre par exemple a été un événement symbolique important mais il ne faut pas le considéré comme étant le retour du mal car le mal n’était jamais parti. C’est plutôt le retour de la conscience du mal nous l’avons redécouvert au cours des dernières années. Rappelez-vous le Rwanda, 800 000 personnes découpées à la machette pratiquement sous nos yeux, sans véritablement d’inspiration idéologique, sans but précis autre que la brutalité et la volonté exterminatrice. Je crois donc qu’au cours des dernières années nous avons repris conscience qu’il y avait une catégorie ontologiquement ou métaphysique qui s’appelait le mal et que le mal existait dans le monde alors que cela faisait bien plusieurs décennies que nous pensions nous être débarrassés de ces vieilles questions du biens et du mal. La pensée moderne qui s’occupait surtout d’économie, d’efficacité avait tendance à considérer que les questions métaphysiques comme celles du bien et du mal étaient des vieilleries que nous avions chassé de nos préoccupations. Tout d’un coup confrontés au resurgisse ment du mal nous sommes un peu comme des analphabètes, nous avons désappris à réfléchir sur cette question, face au mal nous avons tout à coup des réflexes archaïques que j’appelle manichéens.

Humanisme

Je suis résolument universaliste et humaniste, ce qui ne veut pas dire que je ne soit pas capable de critiquer les dérives meurtrières de l’humanisme. Dans sa volonté de dominer le monde, dans son ambition prométhéenne l’humanisme occidentale a certainement failli. J’ai écrit un livre en 1995 qui s’appelait La trahison des lumières  dans lequel je disais que ce qu’il fallait mettre en cause ce n’était pas l’humanisme des lumières proprement dit, c’est le fait que nous avions été infidèles à cet humanisme. Je pense que l’humanisme a en lui-même de quoi se corriger et de quoi s’auto-corriger. Je suis inquiet des pensées post-humanistes, voir anti-humanistes qui ressurgissent autour de nous.

Raisonnable

Nous avons renoncé à définir le bien mais avons choisi à la place de définir le juste et le raisonnable, je pense que cela est un oubli dramatique. C’est précisément parce que nous avons désappris à réfléchir à cette question que nous sombrons dans un réflexe très archaïque face au mal. Quelques mois après le 11 septembre, en janvier 2002, quand Georges W. Bush dans son fameux discours sur l’état de l’union désigne le terrorisme de Manhattan comme le mal, nous somme assez d’accord avec lui. Précipiter un avion sur des tours et tué 3000 personnes avec une folie destructrice c’est bien faire référence au mal. En revanche quand Georges Bush se désigne lui même, désigne son équipe de faucons de la Maison Blanche et l’Amérique toute entière comme incarnation du bien nous sursautons parce que nous reconnaissons là ce vieux manichéisme qui, face au mal a tendance à s’auto-instituer comme bien.

Antagonismes

Mon intention est très simple, dans ce monde nouveau qui surgit devant nous , impressionnant et fascinant, nous avons tendance par paresse intellectuelle à nous réfugier dans des conflits archis connus. Nous avons aussi tendance à regarder le discours politique et médiatique dominant et rempli de ces vieux antagonismes. On oppose de manière simpliste, parce que cela est reposant, les branchées aux ringards, les technophiles aux technophobes, les puritains aux libertins… Ces dualismes manichéens nous reposent car on a l’impression au fond qu’il s’agit de se bagarrer à l’ancienne avec des lignes de front que l’on connaît. Face à cela j’ai choisi six antagonismes qui me paraissent ouvrir le champs du débat. Je propose de les remettre à plat en expliquant qu’il faut que nous apprenons à les penser en termes nouveaux. J’ai commencé par l’antagonisme qui est peut-être le plus important, celui dont on parle le plus, c’est l’antagonisme entre la liberté, la transgression et la limite. Nous sommes aujourd’hui dans des sociétés assez désorientées par cette question parce que le discours dominant a tendance à mettre en avant la transgression. Transgresser, refuser les vieux tabous est très à la mode, il y a une espèce de posture libertaire et en même temps nos sociétés qui sont hantées par la violence, la dislocation sont en quête de limites.

Je pense que les sociétés anciennes savaient avec intelligence conjuguer la limite et la transgression. La limite est nécessaire, c’est ce qui nous fait humain. C’est parce que je refuse de coucher avec ma mère et tuer mon voisin que je ne suis pas un singe, l’interdit de l’inceste et celui du meurtre font de moi un être humain..

Pénal

Nous avons besoin de limite mais le discours contemporain voudrait placer la trangression au centre donc il est perdu. Le danger c’est que nos sociétés sont incapables de se fixer des normes alors il ne reste plus qu’une régulation possible dans ces cas là, c’est le code pénal. Ce qui m’indigne depuis plusieurs années, est que, paradoxalement, plus une société se dit libertaire, plus dans les faits elle devient répressive.

Transgression

Il faut comprendre qu’une société a besoin de limites clairement désignés et en même temps elle a besoin de transgression puisque c’est en général par la transgression que j’affirme mon individualité et mon audace. Je cite le magnifique personnage de l'histoire qu’est Antigone dans mon livre, il transgresse les lois au nom de valeurs supérieurs. Le 18 juin 1940 à Londres, le Général de Gaulle transgresse les lois de la république mais il le fait en assumant la responsabilité de cette transgression. Il faut que nous réapprenons que nous avons besoin de la limite et de la transgression. Prenons un exemple simple et concret. Il y a eu au cours des dernières semaines un débat intense sur l’euthanasie. Je pense que là aussi on a oublié une chose, c’est que sur cette question indécidable de la tragédie de quelqu’un de condamné, en fin de vie, il faut être capable de fixer la limite, l’interdiction de tuer et en même temps d’accepter l’idée que dans certains cas et sous réserve de la responsabilité individuelle ou de l’équipe médicale la transgression peut être tolérer. On ne peut pas ériger la transgression en règle.

Intériorité

Il nous arrive quelque chose d’extraordinaire, nous avons oublié de nous souvenir de ce qu’était la civilisation il y a trente ans. Je me souviens que quand j’étais jeune étudiant, on considérait que la transparence à tout prix, le viol de l’intériorité, de l’intimité de chacun était le propre des régimes totalitaires. Il y a 25 – 30 ans qui mettait les gens sur écoute téléphonique ? Qui contraignait les gens à l’aveu ? C’étaient les staliniens. Rappelez-vous ce film avec Yves Montand l’aveu. Au fond, l’intériorité était considérée comme un droit de l’homme, aujourd’hui c’est l’inverse, on voit des centaines de milliers de gens se précipiter devant des caméra de télévision ou devant les micros de la radio, ou devant la presse écrite pour confesser leur intimité. Ce dévoilement généralisé nous effraie, surtout lorsque, de bonne foi, de très nombreuses personnes ont le sentiment qu’elles existeront d’autant mieux qu’elles se seront exhibés. Je cite la phrase d’un des participant à l’émission télé Loft story qui disait, "j’existe d’autant mieux que je me montre". Il y a une espèce de perversion de ce sentiment nécessaire de l’intériorité, nous voudrions être des gens transparents. Le thème de la transparence que ce soit en économie, en journalisme, en politique est devenu un thème hégémonique, cela, au risque de l’intériorité dont nous avons besoin pour être homme, être capable de résister aux influence.

Je pense que si l’on se montre tant aujourd’hui, c’est parce que l’on a une difficulté à se sentir exister et que l’on a besoin du regard des autres dans cette espèce de vide, de déréliction, d’abandon dans lequel nous sommes, et dans cette sorte deuil ou de solitude de l’individualisme. Nous avons besoin de quêter le regard des autres pour avoir simplement le sentiment d’exister. Voir un être humain sans intérieur m’épouvante. Un homme complètement transparent ne serait plus qu’une sorte de carrefour d’influences médiatiques, publicitaires etc. Je pense que cette personne qui aurait renoncé à préserver un minimum d’intériorité serait une proie offerte à tous les totalitarismes, il serait sans capacité de résistance, c’est ce qui m’inquiète.

Espérance

La phrase de Jean-Paul II "N’ayez pas peur" est centrale, ce qui ne veut pas dire que ce pape soit sans reproche. On peut le critiquer mais cette phrase qui exhorte à continuer de croire en l’avenir est fondamentale. Je dit qu’il faut sortir du deuil. De quel deuil je parle ? Il y a seulement trois ans que nous avons fini le vingtième siècle avec un sentiment de gâchis. Ce XX ème siècle a connu deux guerres mondiales, deux totalitarismes, la shoa, Hiroshima, des centaines de millions de morts qui presque tous, ont été acceptés au nom de l’avenir radieux, de lendemains qui chantent, du monde que l’on voulait transformer au nom de l’espérance. Nous venons de sortir d’un siècle qui a profané l’espérance, l’a déshonoré, l’a transformé en arguments pour le goulag, les charniers ou les massacres. C’est vrai qu’avec juste raison, nous sommes sortis de ce siècle un peu abasourdis avec la tentation de ne plus intervenir sur l’histoire. A partir de l’éffondrement du communisme l’on s’est dit qu’il ne fallait plus toucher à l’histoire car chaque fois que l’on a voulu faire preuve de volontarisme cela a abouti à la catastrophe. C’est de ce deuil-là dont je parle. Il faut sortir de ce deuil, ce n’est parce que des valeurs et des espérances ont été dévoyées, profanées, déshonorées qu’elles ont perdu de leurs forces. Sinon on pourrait très bien vous dire de la même façon que ce sont des démocraties qui ont fait Hiroshima, ce sont des démocraties qui ont fait les massacres de Madagascar ou ceux des guerres coloniales. Cela ne veut pas dire pour autant que la démocratie soit un régime épouvantable, cela veut simplement dire qu’il faut arracher ces valeurs à leurs profanateurs. Je pense qu’aujourd’hui nous devons reconstruire un rapport à l’avenir fait d’espérance ou simplement de goût, de progrès ou de volontarisme mais en prenant garde de ne pas retombé dans les errements du passé.

Nietzsche

Je n’aurais pas une imprudence de me poser en spécialiste de Nietzsche bien que je l’ai beaucoup lu. Ce qui me frappe c’est le fait de constater qu’aujourd’hui beaucoup de penseurs, de philosophes et de jeunes universitaires en reviennent à Nietzsche alors qu’en réalité, pour ce qui concerne la France c’est la quatrième fois que l’on en reviens à lui. Ce retour à Nietzsche m’intéresse en tant que symptôme, pourquoi Nietzsche maintenant ? Je rappelle que l’on est allé déjà chercher Nietzsche trois fois avant cette fois-ci : à la fin du 19è au moment il a publié son œuvre, après la guerre de 14-18, au début de années trente quand il y a eu ce grand doute de la raison qui a suivi l’épouvante de la première guerre mondiale, dans les années 60 avec des penseurs comme Michel Foucault, Gilles Deleuze qui sont allés chercher chez Nietzsche de quoi se désenvoûter du marxisme. Il s’agissait à l’époque de s’émanciper du marxisme qui était pensée dominante. Pourquoi maintenant, que va t-on aujourd’hui chercher dans Nietzsche ? J’ai ma thèse, mon explication qui vaut ce qu’elle vaut mais c’est mon opinion personnelle. Je trouve que ce retour à Nietzsche est dangereux. Si nous avons aujourd’hui un regain d’intérêt pour le bouddhisme qui est une sagesse magnifique mais dont je me méfie de la façon dont elle est réinterprétée chez nous, une fascination pour le néo-stoïcisme et pour Nietzsche c’est qu’il y a un point commun entre ces trois traditions. C’est le refus de transformer le monde, l’acceptation du monde tel qu’il est, le refus du messianisme qui nous vient du judaïsme, l’idée selon laquelle le temps va quelque part et que nous sommes responsable du monde à venir. C’est le contraire d'aimer le monde tel qu’il est, accepter la sagesse, se délivrer des tentations face au monde d’aujourd'hui et chez les stoïcisme c’est renoncer à transformer le monde, choisir de s'en adapter. Ces trois courants de pensées me paraissent dangereux parce qu’ils légitiment un retrait de la politique, une désertion de l’histoire, laissons les choses rouler toutes seules. Transposer dans le monde d’aujourd’hui, cela veut dire laissons faire le marché, laissons agir la loi de l’offre et de la demande, n’intervenons plus sur le plan politique ou laissons faire les progrès mécaniques de la techno-science. Ce sont des pensées qui me paraissent redoutables parce qu’au fond, elles nous inclinent à accepter que le monde de demain soit gouverner par les plus puissants, les plus forts et les plus riches.

Capitulation

Je cite dans mon livre une très belle expression de la tradition juive qui dit qu’au fond, renoncer à l’espérance, au messianisme et à la responsabilité du monde c’est accepter d’abandonner le monde aux méchants c’est à dire aux mécaniques injustes, aux inégalités, aux dominations. Je crois qu’un homme normalement constitué ne peut pas accepter ce fatalisme. j’ai choisi comme titre de mon livre  Le goût de l’avenir par une expression que j’ai emprunté à Max Weber qui dit : la démocratie c’est le goût de l’avenir. Si vous n’avez pas le goût de l’avenir, que vous pensez qu’il faut laisser faire les choses alors nous sortons de la démocratie, ce n’est pas la peine d’être citoyen, pourquoi voulez-vous voter ? A quel programme voulez-vous adhérer ? Puisque vous pensez qu’il faut laisser les choses se dérouler toutes seules. Ce fatalisme porte en lui même la destruction interne de la démocratie.

Religion

Je crois que la question religieuse est devant nous. Nous aurons à l'affronter dans les prochaines décennies car nous nous sommes rendus compte que l’homme était un animal métaphysique. Dans les années 30 en Russie on avait lancé un quinquennat sans Dieu, cinq ans pour éradiquer Dieu de la société soviétique, on a brûlé les monastères. La métaphysique et le besoin de spiritualité est constitutif de ce qui fait l’homme donc nous avons la question religieuse devant nous. Cette question religieuse ne pourra plus être vécu comme autrefois, sur le mode disciplinaire, cléricale, dominateur, nous sommes des sociétés qui sont désormais multiconfessionnelles. Il faudra donc apprendre à dialoguer entre religions, à faire dialoguer les Dieux si j’ose dire, notamment chez nous en Europe où l’Islam devient une composante incontournable. L’islam sera capable de vivre en Europe une sorte de renaissance et de modernisation, je le crois très sincèrement. J’ai dans mes relations des amis musulmans que je publie quelquefois au Seuil, je pense à Malek Chebel qui a écris un livre magnifique qui s’appelle  Le sujet en Islam, un essai très critique à l’égard de l’Islam archaïque. Je pense par exemple à Abdelwahab Meddeb qui a publié La maladie de l’islam. Toutes ces personnes ont parfaitement conscience qu’il faut que l’islam s’adapte à la modernité. J’ai aussi des amis qui animent des revues en Turquie où la question entre l’islam et la modernité est récurrente, elle est examinée avec honnêteté, en profondeur. Je fais le pari selon lequel peut naître chez nous en France et en Europe un islam qui sera un model pour l’islam du monde, l’avenir me donnera peut-être tort.

Histoire

Sacraliser l’histoire est le contraire du goût de l’avenir. Le sens de l’histoire tel que nous l’assenaient les marxistes dans les années 60 c’est le sens de l’histoire désignée comme une fatalité, comme quelque chose d’obligatoire auquel il fallait se conformer. Quand vous n’étiez pas marxiste on vous disait ne pas être dans le sens de l’histoire. Le goût de l’avenir c’est tout le contraire, c’est le sentiment que l’avenir ne sera rien d’autre que ce que nous déciderons entre nous et démocratiquement. La porte est ouverte pour un libre choix démocratique, l’avenir ne sera désignée, ni par la fatalité économique, ni par la fatalité techno-scientifique, ni par la fatalité historique totalitaire sur le modèle des années 60.

Adaptation

Je pense qu’il y a un grand malentendu. S’il y a aujourd’hui un blocage politique en France, si le pays nous donne l’impression d’être démoraliser, d’être incapable de se reformer, c’est que trop souvent, lorsqu’on disait aux gens de s’adapter c’était une manière de leur vendre en contrebande une régression sociale. La manière dont les inégalités ont explosé depuis 20 ans en France, la manière dont on a accepté de l’installation de la précarité dans le monde du travail, la façon dont la société s’est durci, tout cela s’est fait au nom de l’adaptation. Ce qui fait que quand vous demandez maintenant aux gens de s’adapter, ils se bloquent même lorsqu’il faut effectivement s’adapter. C’est devenu un mot piégé. Je me méfie du mot adaptation parce qu’il dissimule trop souvent des soumissions, des capitulations. J’ai eu récemment un débat avec un économiste libéral que je ne citerai pas, quelqu’un de très connu. Il me disait : il faut s’adapter au marché parce que c’est comme la loi de la gravitation universelle, quand on lâche une pomme elle tombe, il faut l’accepter, donc s’y soumettre, s’y adapter. Je lui ai répondu que si l‘on avait accepté ce raisonnement au 19ème siècle on aurait jamais inventé l’aviation car l’aviation fait voler quelque chose de plus lourd que l’air. L’aviation est donc un défie à l’adaptation. je pense que la démocratie et la liberté sont un défie aux prétendues fatalités que l’on nous vend comme obligatoire.

Savoir

Je pense qu’aujourd’hui nous avons perdu cette sagesse des grecs. Les grecs ont inventé la raison et philosophie cinq ou six siècles avant J-Christ. A l'époque ils avaient leur mythe en même temps, il savaient maintenir une sorte de rapport complexe et intelligent entre la croyance, la conviction et la raison. Ils savaient faire interpeller la croyance par la raison et la raison par la croyance. Nous avons aujourd'hui tendance à ériger la raison en une sorte de dogme obligatoire, hégémonique, comme si tout pouvait s'expliquer rationnellement et comme si l'amour, la spiritualité, la poésie étaient des choses qui n'étaient pas dignes de raison. Je crois que cela est une folie. Il faut évidemment que la croyance accepte de se soumettre à la raison, car la raison lui montrera quelques fois qu'elle a tort et si elle n'accepte pas de se soumettre à la raison, elle deviendrait fanatisme ou obscurantisme. Pensez à ces sectes au États-Unis qui croient toujours à création du monde selon la bible... Il faut à l'inverse que le savoir qui est incapable de produire du sens, qui ne fait qu'accumuler les connaissances, soit capable de se soumettre aux exigences et aux interpellations de la croyance et de la conviction. Le savoir n'a de sens que s'il est illuminé dans la conviction.

Le goût de l'avenir Ed. Le Seuil

 

Bibliographie Jean-Claude Guillebaud

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